Notre précédente rencontre avec Lloyd Cole remonte à plus de trois ans, à l’époque de son avant-dernier album, le délicat et très dépouillé “Music in a Foreign Language”. De passage à Paris pour “Antidepressant”, un nouveau disque qui reprend la formule acoustique du précédent en y ajoutant un peu de rythme et de couleur, l’ancien chanteur des Commotions n’a pas beaucoup changé, à part quelques cheveux gris supplémentaires. Commencé dans un restaurant parisien pour pseudo-beautiful people, aux antipodes de sa musique de plus en plus imperméable aux modes de saison, l’entretien se terminera plus calmement à la réception de son hôtel, sous la forme d’une discussion à bâtons rompus, et toujours courtoise. Que voici.
Plus de trois années se sont écoulées entre l’album précédent, “Music in a Foreign Language”, et le nouveau. Pourquoi autant de temps ?
En fait, plus j’y pense, plus je trouve que c’est assez rapide ! J’ai d’abord tourné en solo pour “Music in a Foreign Language”, puis avec les Commotions pour notre “reunion tour”, ce qui m’a emmené jusqu’à la fin 2004. Je me suis ensuite mis au travail sur “Antidepressant”, qui m’aura donc pris un an et demi. C’est plus long que ce que j’espérais, parce que j’ai eu quelques problèmes avec mes ordinateurs, et aussi parce que je cherchais un nouveau son, différent de celui de l’album précédent. Donc finalement, ce n’est pas si long que ça… Je m’attends à ce que mon prochain disque demande plus de temps !

Dans l’ensemble, “Antidepressant” est un disque plus dynamique et plus joyeux que le précédent.
C’est vrai que je le considère comme un disque “pop”, d’une certaine façon. Même si la plupart des gens qui l’ont écouté trouvent qu’il sonne plutôt folk. Alors qu’il l’est sans doute moins que “Music in a Foreign Language”. Disons qu’il ressemble moins à un album solo. La première chose que je cherche, c’est un ensemble d’instruments qui vont définir le son de l’album. Sur celui-ci, il est un peu plus étoffé que sur le précédent. Je joue moi-même de la plupart des instruments – la guitare acoustique, la batterie, les claviers -, tout en donnant l’impression qu’il s’agit de personnes différentes… Neil Clark (ex-guitariste des Commotions, ndlr) joue un peu de guitare électrique. Un ami joue de la basse sur quelques morceaux, un autre s’est occupé des arrangements de cordes. Dave et Jill des Negatives (le groupe avec lequel Lloyd avait enregistré l’album du même nom, ndlr) font les chœurs. Mais à 90 %, c’est moi qu’on entend.

C’était un choix dès le départ ?
C’est juste qu’aujourd’hui, j’ai l’habitude de travailler ainsi. Il n’y a pas beaucoup de musiciens là où je vis, en Nouvelle-Angleterre, et je ne tiens pas spécialement à collaborer avec d’autres personnes pour les arrangements. J’expérimente beaucoup pour trouver le son, l’atmosphère particulière que je recherche. Parfois, les résultats de ces expérimentations se retrouvent directement sur le disque, d’autres fois ils m’indiquent la direction à prendre. Je ne sais pas encore ce que je vais faire pour mon prochain album, mais je trouve en tout cas que je me débrouille de mieux en mieux seul.

La pochette d'”Antidepressant” montre une vue aérienne d’une banlieue américaine. C’est celle où tu vis ?
Non, mais ça y ressemble. Ce n’est pas la banlieue riche telle qu’on la voit dans la série “Desperate Housewives”, c’est plus working-class. Les gens croient que j’ai une grande maison, mais ce n’est pas le cas ! (sourire)

Aujourd’hui (le jour où cette interview a été réalisée), nous sommes le 11 septembre 2006. Où étais-tu il y a cinq ans ?
Je n’étais pas à New York, et de toute façon ma femme et moi avions déjà quitté la ville à l’époque. Ma femme était à la maison, et moi, aussi incroyable que cela puisse paraître, j’étais à Washington car je devais jouer le soir même à un kilomètre du Pentagone… Evidemment, le concert a été annulé, mais j’ai dû jouer le lendemain. C’était très étrange, sans doute le concert le plus difficile que j’aie jamais fait. J’avais beaucoup de mal à me souvenir des paroles de mes chansons.

Le titre de l’album, “Antidepressant”, est celui d’un des morceaux. Doit-on aussi le comprendre comme un clin d’œil ironique à ta réputation d’auteur de chansons tristes ?
On peut. En fait, chacun a une interprétation différente, c’est ce qui me plaît. Il peut dire tout et son contraire. Un peu comme “Mainstream” (troisième et dernier album des Commotions, ndlr) ou “The Negatives”.

Ou “Bad Vibes”, ton troisième album solo.
“Bad Vibes”, ça m’est retombé dessus. Tout le monde l’a pris au sérieux, peut-être à cause de ma photo sur la pochette où j’avais l’air particulièrement renfrogné. Je me disais : “Comment peut-on prendre au sérieux un titre pareil ?” Pourtant, c’est ce qui s’est passé ! (rires) Là, ça ne me dérange pas si le mot “Antidepressant” est pris dans un sens littéral. Au contraire, c’est même plutôt flatteur !

Où est-ce que “Music…” s’est le mieux vendu ?
En Allemagne. Curieux, hein ? Jusqu’ici, je n’avais jamais eu énormément de succès là-bas. A l’époque où je vendais beaucoup de disques, les pays où ça marchait le mieux, c’était la Grande-Bretagne, l’Irlande, la France, la Suède, le Portugal… A la fois avec les Commotions et en solo. Maintenant, j’en vends de moins en moins, sauf en Allemagne ! Je fais trois jours de promo là-bas, et seulement une journée en France. Pourtant, je ne fais pas tellement de concerts en Allemagne. Financièrement, c’est difficile de monter une tournée avec beaucoup de dates, j’ignore pourquoi. D’ailleurs, il y a des choses que je ne comprends pas très bien : par exemple, sur la prochaine tournée, je toucherai trois fois plus d’argent à Stockholm qu’à Paris, alors que la salle n’est pas tellement plus grande… Pour en revenir aux Allemands, je pense que la plupart comprennent assez bien l’anglais. Ce qui peut expliquer le succès là-bas de quelqu’un comme Adam Green, chez qui les textes sont particulièrement importants.

Je trouve que ta voix fait passer de plus en plus d’émotion. En es-tu conscient ?
Oui, mais je ne sais pas si elle est plus émouvante en elle-même. C’est surtout qu’elle semble plus proche, et qu’ainsi elle exprime plus d’émotion, en effet. En fait, j’ai fini par accepter ma voix. (rires) Je n’en ai pas d’autre et je ne peux pas en changer, donc j’essaie simplement d’en tirer le meilleur profit. C’est non seulement un travail, mais aussi un plaisir de chanter. Ceci dit, je ne chante pas sous la douche, et quand, dans une fête, on me demande de chanter, je refuse catégoriquement ! (rires)

Pourquoi la tournée de reformation des Commotions, à l’automne 2004, n’est-elle passée que par le Royaume-Uni et l’Irlande ?
Nous avions pensé à d’autres pays d’Europe, mais les promoteurs ne voyaient pas la différence entre un concert de Lloyd Cole et un concert de Lloyd Cole and the Commotions. La différence, c’est que le second coûte environ dix fois plus cher que le premier, parce qu’il y a beaucoup plus de gens impliqués (rires). Donc, plutôt que d’essayer de monter une tournée européenne, on est allé à l’essentiel, d’autant qu’on ne voulait pas que ce soit trop long. On a répété pendant trois semaines, tourné pendant une semaine, et puis chacun est reparti de son côté. Et c’était très bien comme ça. Tout s’est bien passé, nous nous sommes amusés, mais j’ai compris que j’avais pris la bonne décision en quittant le groupe. Ce qui ne m’empêche pas d’être en bons termes avec Neil, Blair, Lawrence et Stephen, et de les voir encore de temps en temps.

Après la ressortie en double CD “deluxe” de Rattlesnakes, est-il prévu de rééditer les deux autres albums des Commotions ?
Je ne sais pas, mais je crois que Universal aimerait exhumer quelques faces B obscures…

Et votre live à Glastonbury, enregistré en 1986 par la BBC, sur lequel figure un morceau jamais paru sur disque ?
Ce devait être “Old Hats”. Nous avons réutilisé les accords pour “My Bag”. Je me souviens qu’il s’était mis à pleuvoir juste après notre concert. Mais bon, franchement, je trouve qu’il n’y a rien de plus ennuyeux que les gros festivals de rock. Sur scène, on essayait de faire un bon concert, mais une fois celui-ci terminé, on partait le plus vite possible parce qu’on n’avait aucune envie de rester. J’ai quand même joué au festival Primavera à Barcelone en 2004, en solo, mais c’était une petite scène et le cadre était vraiment magnifique.

La chanson “The Young Idealists”, qui ouvre le nouvel album, est-elle le portrait d’une génération ?
Non, pas vraiment. C’est au contraire l’idée que ces “jeunes idéalistes” peuvent avoir 15 ans aussi bien que 75. Un peu comme l’expression “young at heart”. On peut perdre son idéalisme, mais aussi le retrouver. Et peut-être que cet idéalisme n’était pas une si bonne chose, et qu’on peut avoir d’autres satisfactions en vieillissant, etc. La chanson ne tient pas un seul discours, elle offre diverses options.

Et “New York City Sunshine”, un peu plus loin, c’est un hommage à la ville ?
Disons que c’est une chanson d’amour adressée à une ville où je vivais, et que j’ai d’ailleurs écrite à l’époque où j’y habitais, il y a des années de cela. Jusqu’ici, je n’avais jamais trouvé le temps de l’enregistrer. Il n’y a que la fin, après le solo de guitare, qui date de cette année. Cela faisait très longtemps que je ne l’avais pas chantée, à cause notamment du 11 Septembre : après ça, tout le monde y est allé de sa chanson hommage à New York, et je ne voulais pas être mis dans le même sac. Je tenais à être sûr qu’il n’y ait aucune confusion possible.

Cette chanson me fait penser à “Springtime in New York” de Jonathan Richman.
Ça ne me dit rien… Je crois qu’il a davantage écrit sur Boston et la Nouvelle-Angleterre. Il y a cette chanson, “Girlfriend”, sur le premier album des Modern Lovers, où il chante : “If I were to walk through the Museum of fine arts in Boston/Well first I’d go to the room where they keep the Cézanne…” (imitation convaincante de la voix nasillarde de Richman, même s’il ne chante pas tout à fait comme ça sur cette chanson, ndlr). Et “Government Center” : quand on va du centre de Boston à l’aéroport, on passe devant. Ou “Lonely Financial Zone” : quel titre ! (rires)

Comment ça se passe avec ton nouveau label Sanctuary, sur lequel était déjà sorti l’album précédent ?
J’ai toujours la même relation avec eux : je leur donne les bandes et ils sortent l’album. Mais au moment où je terminais le nouveau, je ne savais même pas si Sanctuary allait continuer à exister. Ils avaient beaucoup de problèmes et je ne savais pas trop ce qui allait se passer. Enfin, ils continuent, je garde espoir, même si la situation est incertaine. Pour les distributeurs, presque chaque pays a le sien. En France, c’est PIAS, après BMG pour “Music in a Foreign Language”. Là, j’essaie d’en trouver un pour le Japon, ce qui me permettrait d’aller jouer là-bas.

Depuis notre dernière rencontre, il y a plus de trois ans, plusieurs musiciens importants ont disparu : Robert Quine, qui avait joué de la guitare sur tes disques, Grant McLennan, Syd Barrett et Arthur Lee plus récemment.
Je n’ai jamais été un immense fan d’Arthur Lee et de Syd Barrett, même si j’aime bien leur musique. Robert Quine, lui, était l’un de mes meilleurs amis. La nouvelle de sa mort m’a peiné, bien sûr… Mais parfois, il vaut mieux que les gens meurent plutôt que de continuer à vivre malheureux. Quine n’avait plus goût à la vie depuis la mort de sa femme. Je n’ai pas ressenti sa disparition comme une tragédie ; la tragédie, dans son cas, aurait été qu’il continue à vivre. Ses dernières années ont été assez tragiques… J’ai passé beaucoup de temps à le persuader de vivre, mais il n’en avait plus envie.
Le cas de Grant était différent. Au moment où il est mort, il vivait sans doute les moments les plus heureux de sa carrière. Pour moi, “The Friends of Rachel Worth” est le meilleur album des Go-Betweens, et à part eux, aucun groupe ne se reforme pour sortir son meilleur disque ! Ces dernières années, ils avaient gagné de nouveaux fans, et je pense que Grant était enfin heureux, avait pris goût à la vie, ce qui n’a pas toujours été le cas. Cela atténue un peu la tristesse que j’ai ressentie à l’annonce de sa mort, tout en la rendant d’autant plus injuste… Maintenant, je ne sais pas ce que Robert Forster va faire. J’aimerais beaucoup rassembler quelques personnes qui étaient fans des Go-Betweens pour enregistrer un album avec lui, en essayant d’être Grant sur quelques morceaux.

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Publication: popnews.com

Publication date: 11/10/06