Troisième rencontre avec Lloyd Cole pour POPnews, quelques heures avant un très beau et chaleureux concert en solo acoustique à l’Européen, à deux pas de la place de Clichy, prolongé par une longue séance de dédicaces dans le hall. Ce fut l’occasion de parler d’un nouveau coffret sorti ces jours-ci par le label allemand Tapete (distribué en France par Differ-ant), “Cleaning Out the Ashtrays”, retraçant en quatre CD une bonne quinzaine d’années de carrière solo (de 1989 à 2006) à travers une collection presque exhaustive de faces B, reprises, versions alternatives et inédits. Une véritable boîte à trésors (même si on trouve forcément un peu de verroterie au milieu) qui montre qu’on peut vieillir dignement dans le rock, à condition de ne pas se prendre trop longtemps pour un rockeur. L’idée de ce coffret vient-elle de toi ou du label Tapete ?
Elle vient surtout de mes fans, en fait. C’était la chose qu’on me demandait le plus souvent sur mon site internet. Moi-même, je voulais le faire depuis un moment, car, bien sûr, je n’aime pas l’idée que certains de mes disques ne soient plus édités. J’aimerais que tout ce que j’ai fait soit disponible, là c’est une première étape.
Tu avais prévu dès le départ de publier une soixantaine de morceaux, sur quatre CD ?
Non, pas vraiment. Mais le nombre de morceaux dépendait de “l’algorithme” que j’avais choisi. Ce n’est pas une compilation de démos mais un recueil de chansons qui étaient destinées à se retrouver sur des albums ou à sortir en single, et qui finalement n’ont pas été retenues. Et il y en avait 59 en tout.
Il y a aussi des versions alternatives de morceaux qu’on connaissait déjà. Parfois, elles ne sont pas tellement différentes. Si tu les as incluses, c’est que tu les trouvais vraiment meilleures, plus réussies ?
Pas forcément. C’est juste qu’il m’était difficile de décider si telle version était trop semblable à celle qui était sortie, ou non. Du coup, on les a toutes mises. Pour “Don’t Look Back” ou “No Blue Skies” (deux morceaux de son premier album solo, ndlr), le mix des guitares est un peu différent, mais je reconnais que c’est subtil. Il y a quand même des versions vraiment distinctes, comme “She’s a Girl and I’m a Man”, avec une partie de guitare qui revient après le pont.
Rétrospectivement, tu ne regrettes pas de ne pas avoir sorti certaines des chansons du coffret à l’époque ?
Non, car elles auraient paru déplacées sur un album, elles ne fonctionnaient pas avec le reste. Dans ces cas-là, on se dit que la chanson ira sur l’album suivant, et souvent le problème se pose de nouveau… Eventuellement, elles se retrouvent sur une face B de single. Certaines n’étaient jamais parues, comme “Missing” ou “Rain on the Parade”, enregistrées lors des sessions de “Love Story”. J’avais passé deux semaines bizarres en studio et il en était sorti ces chansons qui ne ressemblaient pas vraiment à ce que je fais d’habitude. Je les trouve bonnes, mais je ne voyais vraiment pas ce que je pouvais en faire alors. Finalement, elles ont une maison, même si ça ressemble plus à un orphelinat. (sourire) D’ailleurs, Tom Waits a sorti une compilation intitulée “Orphans”, rassemblant des chansons qui, en quelque sorte, n’avaient nulle part où aller.
Justement, aimes-tu ce genre de recueils, comme la série “Biograph” de Bob Dylan ?
Oui, quand ce sont des artistes qui me sont vraiment chers, comme Dylan en effet. Mais je ne suis plus un aussi gros consommateur de musique que je l’ai été. J’ai l’impression aujourd’hui d’en avoir suffisamment entendu. Enfin, si quelqu’un comme Prince avait sorti ce genre de coffret en 1995, je l’aurais sans doute acheté. Aujourd’hui, pas forcément… (sourire)
La plupart des morceaux du coffret ont donc été enregistrés avec l’idée qu’ils se retrouveraient sur un album ?
Oui, il y a juste six ou sept chansons qui étaient des commandes. La reprise de “Chelsea Hotel”, c’était pour “I’m Your Fan”, le tribute album à Leonard Cohen. Il y a aussi cette adaptation de Dylan, “Si tu dois partir”, que je chante horriblement dans votre langue, et que j’avais faite pour une compilation de chansons en français reprises par des artistes anglo-saxons… Mais les chansons que j’ai composées moi-même auraient dû se retrouver sur un album à l’origine.
D’où vient le titre, “Cleaning Out the Ashtrays” (“nettoyer les cendriers”) ?
C’était dans les paroles de “Old Hats”, une chansons des Commotions que nous avons jouée sur scène et que nous avons finalement abandonnée (on trouve une version live à Glastonbury sur le volume 2 des “BBC Recordings” de Lloyd Cole and the Commotions, ndlr). J’ai ensuite repris une partie du texte pour une autre chanson qui se trouve sur le coffret, “The Witching Hour”.
Les titres de chacun des CD paraissent également ironiques : “Dangerous Music”, “Difficult Pieces”…
“Difficult Pieces” est un clin d’oeil que j’espère amusant au titre du deuxième album des Commotions, “Easy Pieces”. C’est aussi à prendre de façon littérale. Pas au sens où les morceaux seraient difficiles d’accès, mais au sens où ils ont été écrits à une période plutôt difficile pour moi… (silence) Je venais de quitter Universal et je cherchais un moyen d’aller de l’avant. Ce ne sont pas forcément des souvenirs très agréables.
Était-ce émouvant de réécouter certaines bandes ?
Oui, notamment les morceaux sur lesquels jouait Robert Quine (fameux guitariste new-yorkais, décédé depuis, ndlr), comme “I Just Don’t Know What to Do with Myself”, qui est déjà une très belle chanson à l’origine. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas eu plus de temps et d’argent pour peaufiner le mixage. Je ne suis pas vraiment le meilleur ingénieur du son du monde… Mais bon, c’était pour un disque hommage à Burt Bacharach sur Tzadik, le label de John Zorn, et on ne pouvait se permettre qu’une journée de studio. La compilation fait partie de sa série “Great Jewish Composers”, que je trouve plutôt amusante. J’avais aussi repris “Romany Soup” pour celle consacrée à Marc Bolan et T. Rex. J’aurais bien aimé qu’il me demande de participer à celle autour de Gainsbourg !
Peut-on voir ce coffret comme une façon de rendre hommage à tous les musiciens de talent avec lesquels tu as travaillé ?
Je considère qu’une fois que les gens ont acheté l’un de mes disques, il est à eux, ils en font ce qu’ils veulent. Tant mieux si, en écoutant ce coffret, ils apprécient certaines performances des musiciens qui m’accompagnent. Je suis particulièrement heureux qu’on puisse enfin entendre des morceaux enregistrés avec Robert Quine, qui n’avaient pas été retenus pour les albums et sur lesquels il est particulièrement brillant, comme “Missing”. D’ailleurs, j’ai mis “The ‘L’ Word” et “Mannish Girl” au début du premier CD, quitte à bousculer un peu la chronologie, car je pense que de toutes les petites séances d’enregistrement que j’ai faites, ça reste la meilleure. C’est dingue que ces deux morceaux ne se soient pas retrouvés sur un album, alors qu’ils représentent sans doute le meilleur son rock’n’roll que j’aie jamais eu. C’était juste Quine, la section rythmique du groupe Certain General (dont Lloyd avait coproduit l’excellent album “Jacklighter” en 1990, ndlr), et moi.
De nombreux morceaux du coffret sont plutôt légers, montrent que tu ne te prends pas trop au sérieux. Penses-tu qu’ils peuvent donner de toi une image différente de celle que certaines personnes ont encore, celle d’un chanteur triste et déprimant ?
Je pense que les gens qui écoutent ma musique depuis longtemps savent que je ne suis pas comme ça. Bon, c’est vrai que sur les photos promotionnelles, je fais souvent peur ! (sourire) Mais celle-là devrait clore le débat. (Il montre le verso d’un des CD live qu’il vend à ses concerts) Là, je ressemble à ton grand-père ! C’est la première fois que j’autorise l’utilisation d’une photo sur laquelle je fais vraiment mon âge. (rires)
Il y a beaucoup de reprises sur le coffret. C’est quelque chose que tu aimes faire ?
Oui, vraiment. Pour quelqu’un comme moi qui a écrit beaucoup de chansons, c’est agréable de temps en temps de jouer celles des autres, en étant seulement le chanteur ou l’arrangeur. J’en fais encore beaucoup sur scène, que je choisis selon l’humeur.
Dans une interview donnée aux “Inrockuptibles” en 1989, tu disais que tu aimerais vieillir comme Leonard Cohen. C’est toujours le cas ?
Oui, tant que ma femme ne part pas avec mon argent ! Enfin, je ne pense pas en avoir assez pour que ça en vaille la peine… (sourire) Il est encore bel homme, j’essaie d’avoir la même coupe de cheveux que lui… Je ne l’ai pas vu sur la dernière tournée mais tout le monde m’a dit que c’était fantastique. J’espère avoir l’occasion de le voir avant qu’il arrête.
Penses-tu avoir de nouveaux fans, ou est-ce plutôt les mêmes qui restent fidèles ?
Je ne sais pas… J’espère que ça se renouvelle un peu. Parfois, je vois des gens assez jeunes à mes concerts et quand je leur demande ce qu’ils font là, ils me disent que leur grand frère avait mes disques. Je n’ai pas abandonné l’idée de me faire connaître d’un nouveau public, d’avoir du succès. Peut-être que des gens vont me découvrir en entendant un morceau du coffret à la radio, qui sait ?
Une question rituelle pour finir : travailles-tu sur un nouvel album ?
Je vais d’abord terminer cette petite tournée, puis m’occuper un peu de mes affaires. Ensuite, j’espère pouvoir encore donner des concerts et écrire des chansons, que j’enregistrerai à la fin de l’année si tout va bien.
Propos recueillis par Vincent Arquillière
Photos par Guillaume Sautereau
A lire également, sur Lloyd Cole :
la chronique de “Antidepressant” (2006)
l’interview (2006)
l’interview (2003)
la chronique de “Music in a Foreign Language ” (2003)
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Publication date: 25/03/09